Métaphysique

Métaphysique
Métaphysique
    Les notions aristotéliciennes fondamentales, substance et accident, cause et effet, matière et forme, cause finale, avaient pour essentielle destination chez leur auteur de boucler en quelque manière l’expérience en introduisant dans l’univers mouvement, unité et continuité. Mais, passées à l’épreuve de l’expérience, elles sont critiquées et transformées par Occam de manière à devenir incapables de jouer ce rôle. La substance, d’abord (et la remarque avait été faite par Plotin), n’est connue que par des caractères généraux ; elle est ce qui subsiste en soi, ce qui n’est pas en autre chose, ce qui est sujet des accidents ; autant de caractères qui laissent ignorer ce qu’elle est en soi : la seule donnée de l’expérience, ce sont les qualités ou propriétés ; ce que nous connaissons du feu, c’est la chaleur. Il y a, dit-on, entre la substance et sa propriété un lien de cause à effet, si bien que l’on pourrait conclure de l’une à l’autre. Ce lien consiste évidemment en ce que, « si la chose absolue (cause) est posée, l’effet est posé, et si elle n’est pas posée, l’effet n’est pas posé non plus » : cause et effet sont donc deux choses différentes : or « jamais la connaissance d’une chose simple n’est la cause suffisante de celle d’une autre chose simple » ; car la connaissance d’une chose ne peut venir, médiatement ou immédiatement, que de cette chose même et non d’une autre ; entre la notion de la cause et celle de l’effet, il n’y a aucun autre lien que celui que l’expérience a établi ; l’expérience nous révèle que la chaleur a la puissance d’échauffer ; mais nous ne connaissons rien dans la chaleur qui exige cet effet. Occam ne nie pas le principe de causalité et sa valeur ; mais il nie que nous puissions connaître en un être une puissance active, c’est-à-dire quelque chose qui, en lui, se réfère à un être autre que lui ; la connaissance d’un être se termine à lui-même.
    C’est ce principe même qui amène Occam à transformer très profondément la notion de matière et de forme. Pour Aristote, on le sait, tout devenir a lieu, dans la matière, de la privation à la forme ; sous le nom de privation, il introduit une réalité qui se réfère à ce qui n’existe pas encore, à la forme ; Occam, au contraire, ramène la privation à la matière ; la privation n’est qu’une expression métaphorique pour désigner la matière. Restent donc purement et simplement la matière et la forme. Mais la matière, chez Aristote, est essentiellement être en puissance ; rien de pareil chez Occam, pour qui l’être en puissance ou être indéterminé ne peut pas du tout exister ; la matière existe en acte, comme tout être de la nature ; mais par là, Occam prive la matière de la fonction qu’elle avait chez Aristote ; car, en tant qu’être en puissance, elle aspire à la forme et devient ainsi, dans l’univers, un principe de continuité et d’union ; si elle est un être en acte, il n’y a rien en elle qui exige la forme ; indépendante de celle-ci, elle ne change nullement en s’unissant à elle : que la matière soit inséparable de la forme, c’est un fait universel ; en fait, l’expérience ne donne jamais que des composés concrets où forme et matière, indissolublement unies, ne peuvent être séparées que par analyse ; mais cette union n’a en soi rien d’intelligible.
    Aristote avait été conduit, par ses principes, à la notion d’une matière première, entièrement indéterminée, et dénuée même de quantité ou d’étendue ; la quantité n’est qu’un accident qui vient s’ajouter à la matière : Occam ne peut du tout accepter cette matière indéterminée ; il en résulterait que ce que l’on tient pour un accident, la quantité, serait le principe de distinction des êtres ; ou alors, il faudrait supposer que, la quantité supprimée, les êtres restent distincts, ce qui revient à dire qu’ils sont situés, dans l’étendue, les uns par rapport aux autres, et, donc, que la quantité n’a pas été effectivement abolie. « L’étendue ou quantité ne désigne donc pas une réalité absolue ou relative, en dehors de la substance et de la qualité, mais elle est une voix ou concept qui désigne principalement la substance, et qui connote plusieurs autres choses, parmi lesquelles peut être le mouvement local. »
    Avec la critique de la cause finale, Occam s’attaque au point central de la métaphysique aristotélicienne. « On est en doute, écrit-il, sur la causalité de la cause finale ; on dit communément que cette causalité est capable de mouvoir un agent ; mais mouvoir, pour elle, veut dire seulement que la fin est aimée par l’agent ; d’où suit que ce mouvement n’est pas réel, mais métaphorique. » D’autre part, l’uniformité d’action que l’on constate dans les êtres de la nature ne permet pas de prouver en eux l’action d’une cause finale. Ainsi achèvent de s’effriter, grâce à l’empirisme d’Occam, toutes les notions qui faisaient l’armature de l’univers d’Aristote.

Philosophie du Moyen Age. . 1949.

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